Thibaut Meurgue (agent FFF) : « Sur Linkedin, je vois tous les jours des annonces pour des clubs à l’étranger… »

Thibaut Meurgue Thibaut Meurgue
Romain Bayard (à gauche) et Thibaut Meurgue (à droite), cet été, après la signature du milieu terrain au club suisse de Neuchâtel Xamax

Ça y est, le mercato est clos. Thibaut Meurgue, 34 ans, peut souffler. Ce jeune agent licencié FFF, pourtant sans joueur de Ligue 1 parmi sa structure TMSPORTS, n’a pas chômé. Sans filtre, il raconte à Sport Buzz Business son métier, entre passion, éthique, espoirs et trahisons.

« On décrie beaucoup les agents, mais ils ont un rôle essentiel. Un bon agent, ça facilite la vie. » Ces mots sont signés Frédéric Paquet, ancien directeur sportif du LOSC et de l’AS Saint-Etienne, interrogé il y a quelques jours dans L’Equipe. Et ce n’est surement pas Thibaut Meurgue qui dira le contraire.

Sport Buzz Business : Le marché des transferts a fermé ses portes le 1er septembre à 20h, cela veut dire que vous allez un peu mettre de côté votre téléphone ?
Thibaut Meurgue : Quand le mercato se termine, la saison a déjà repris. C’est là que je vais aller sur le terrain voir les joueurs. Il n’y a pas vraiment de temps mort. En octobre peut être, et vers février-mars, c’est un peu plus calme. Mais même en anticipant, il y a toujours des périodes chaudes et des dossiers à gérer.
C’est important de se déplacer, de parler en vrai aux joueurs que vous accompagnez et aux dirigeants de clubs ?
Le début de saison est sympa car les joueurs intègrent les nouveaux clubs, je peux voir avec eux voir si tout se passe bien. Beaucoup de mandats se terminent aussi à la période estivale, en étant présent on peut récupérer des futurs clients pour les prochaines années.
Qui sont vos clients justement ?
J’accompagne des joueurs expérimentés et des joueurs qui sortent de centres de formation. Si ces jeunes joueurs ne passent pas pro tout de suite, il y a souvent besoin de faire une étape intermédiaire vers la N2 ou la N3. Sur les joueurs professionnels, oui, nous sommes très marqués Ligue 2 ou National pro. Dans la pensée commune, tout le monde se dit que les agents gagnent beaucoup d’argent, comme les joueurs. Ils n’imaginent pas que les joueurs en Ligue 2 et en National font les mêmes sacrifices mais ils n’ont pas le salaire qui permet de faire ces sacrifices de manière sereine. Selon le même mécanisme, les agents gagnent aussi moins d’argent.
Votre rémunération n’intervient qu’en cas de transfert ou il existe un forfait par saison ?
Il y a deux façons d’être rémunéré : soit sur le transfert d’un joueur, c’est le cas en Ligue 1 car en Ligue 2 ou en National il y a très peu de transfert, soit sur un pourcentage du contrat que nous allons leur faire signer avec un club. Si je récupère un joueur qui est déjà sous contrat avec un club et qui avait signé grâce à un autre agent, je ne touche rien. Par contre, dès lors où je lui trouve un nouveau contrat, je vais toucher chaque année un pourcentage du contrat qu’il va avoir dans ce nouveau club pendant toute la durée où il y sera. En France, on est aux alentours de 7 ou 8%.
D’où la logique d’accompagnement et de progression…
Le but,  idéalement, c’est que le joueur franchisse les étapes les unes après les autres et qu’il reste avec toi. Tu commences en National, tu l’emmènes en Ligue 2 puis en Ligue 1 ou une première division à l’étranger.
Thibaut, à ce moment de l’entretien, les lecteurs vont vouloir en savoir plus sur votre parcours. Comment vous êtes devenu agent ? C’est presque une reconversion…
J’ai été au collège à Rambouillet, dans les Yvelines, où allaient les joueurs de l’INF Clairefontaine. Je me suis retrouvé dans une classe avec des joueurs, c’était parfait, j’étais moi-même passionné de foot. Quand j’ai compris que je ne pourrai pas devenir pro, j’ai passé très jeune mes diplômes d’entraîneur. J’ai coaché en Ile de France avec des jeunes joueurs talentueux qui partaient en centre de formation. En tant qu’éducateur, vous êtes souvent mis à contribution pour aider les parents.
J’ai ensuite fait mes études dans une école de commerce. Je suis allé étudier au Canada l’économie du sport professionnel nord américain pour essayer de comprendre comment les franchises généraient de l’argent. Mon mémoire de fin d’étude portait d’ailleurs sur l’application des solutions américaines aux clubs français pour essayer demain de mener un projet sportif avec un modèle économique solide.
Après mon stage et mon CDI, je me suis éloigné du football. Le Covid aidant et le cap de la trentaine approchant, je me suis dit que j’aimerais bien faire un métier qui me passionne, d’autant plus que je continuais d’aider bénévolement des joueurs qui sont professionnels aujourd’hui. Grâce à mes relations et mon parcours, j’avais réussi à en aider plusieurs. J’ai décidé de structurer les choses et passer ma licence FFF, qui est un concours pas si évident que ça.
Thibaut Meurgue (à gauche) avec Amine Mokhtari (au centre), lors de la signature du premier contrat professionnel du joueur avec l’AS Nancy, son club formateur.

Il y a une économie qui s’est construite autour de ce fameux concours…

Oui, une grosse économie, avec des organismes qui y préparent très bien. La première partie de l’examen n’a pas grand chose à voir avec le football, c’est du droit. J’en avais fait un peu durant ma formation en école de commerce. Ensuite, c’est beaucoup de statuts et règlements qu’il faut apprendre par cœur. Les organismes de formation essaient de t’aiguiller, avec l’expérience, sur les sujets qui peuvent tomber.

On voit régulièrement des joueurs changer d’agent. Les contrats qui vous lient ne sont finalement pas très contraignants ?
Je trouve que c’est plutôt libre. Les mandats durent deux ans au maximum. On ne peut pas signer et engager un joueur contre son gré. Nous lui présentons un contrat de travail et il le signe s’il a envie. Le jour où il ne veut plus bosser avec un agent, tu travailles pour rien.
La situation peut donc se présenter où vous êtes sous contrat avec un joueur mais qu’un autre agent lui propose un projet qui l’intéresse davantage ? Vous êtes donc écarté de la transaction financière ?
Cela arrive tout le temps. Tu peux te faire totalement avoir. C’est la grande difficulté de ce milieu. Je suis arrivé à mes grands principes en me disant qu’il fallait être là pour les joueurs, dans les moins bons moments. Quand ils sont dans des moments difficiles, ils se rendent compte si l’agent est bien car on continue à travailler bénévolement pour eux.  Par contre quand eux commencent à performer, c’est là où on voit s’ils sont fidèles et capables de rester avec nous. Certains joueurs ont des entourages qui les recommandent mal ou sont très vite influençables.
Un exemple m’avait marqué et affecté. J’étais allé chercher un jeune joueur dans l’univers amateur. Je l’ai rapidement fait signer dans l’équipe réserve d’un club professionnel. Durant l’été, le club ne lui proposant pas de contrat pro, il voulait arrêter. J’ai réussi à le convaincre de rester et quinze jours après, il faisait la reprise avec les pros, en Ligue 2, et finit par signer son premier contrat professionnel. J’ai senti qu’il était content mais qu’avec ses deux premières apparitions en Ligue 2, on lui avait proposé d’autres projets. J’avais encore presque deux ans de mandats avec lui et il m’a expliqué qu’un autre agent était plus ambitieux que moi alors que je lui avais expliqué d’être patient et d’y aller étape par étape. Ses parents ne voulaient pas que je résilie mais le joueur était majeur. J’ai accepté de résilier le mandat gratuitement. J’ai continué à toucher ma rémunération tant qu’il était dans le club où je l’avais fait signer. Aujourd’hui, c’est un garçon qui joue à un niveau inférieur et  absolument pas en Premier League comme l’autre agent lui avait fait miroiter.
Les relations humaines s’effacent très vite on a l’impression ?
C’est le plus difficile. Je m’attache un peu car je travaille avec bienveillance, presque avec des sentiments amicaux car je côtoie certains joueurs chaque semaine. Eux regardent parfois la possibilité d’aller chercher un peu mieux financièrement.
Tout le monde peut travailler avec tout le monde visiblement. Cette fameuse licence FFF n’existe-t-elle pas pour cadrer les discussions ?
C’est un garde fou qui est censé être appliqué. Si on ne l’a pas, on n’est pas censé pouvoir pratiquer mais dans les faits, il y a pas mal d’abus avec des gens qui n’ont absolument pas la licence FFF, qui ont une licence FIFA qui ne vaut pas grand-chose mais qui s’arrangent toujours pour prendre quelqu’un avec la licence qui va signer pour eux. Des cousins, des frères, des oncles, tout le monde peut graviter autour des joueurs. Tout le monde au plus haut niveau sait que des joueurs sont conseillés par des gens qui n’ont pas la licence. Le jour où vous avez un joueur du niveau de Mbappé, les clubs n’en ont rien à faire que vous ayez ou non la licence.
Les mentalités sont les mêmes en Ligue 2 ou en National ?
C’est à tous les niveaux. On le voit dès les joueurs en centre de formation où à peine 10% arriveront à vivre potentiellement du football. Je pense que l’aspect mental est déterminant pour réussir. Les plus pragmatiques y arriveront. Ceux qui vont se dire que le plus important est d’être dans un projet où ils vont jouer. Certains jeunes joueurs préfèrent signer en Ligue 2 , faire une belle photo pour Instagram, quitte à n’avoir derrière aucune certitude de jouer plutôt que d’aller en National et d’avoir la possibilité d’être titulaire.
Et entre agents ? Il existe quand même une bienveillance ?
C’est un peu chacun pour soit. Tant que tu n’as rien à apporter, tu n’intéresses pas trop. Un agent que tu admires, qui a une belle communication, tu vas aussi te rendre compte en grattant derrière qu’ils ne s’occupent pas bien de tous ses joueurs. Je vois énormément de joueurs qui ont signé avec des grosses structures et qui passent à la fin lorsque les intérêts financiers sont moins importants.
Votre petite structure rassure finalement ?
Ma plus grosse force, c’est les relations construites avec les clubs depuis 5 ans. Quand on propose un joueur, c’est qu’on a un mandat, ils ne perdent pas de temps. Aujourd’hui, l’un des fléaux du milieu, c’est qu’il y a beaucoup de joueurs qui ont été déçus par des agents et qui vont dire à tout le monde qu’ils n’ont pas d’agent et qu’ils iront vers le meilleur projet qu’on leur présentera. On se retrouve en période de mercato avec des joueurs qui sont présentés 10 fois au même club qui ne saura pas avec qui il doit traiter. Un agent qui va décider de se positionner dans ce genre de négociation va se griller.
Je regarde ça avec stupeur, sur Linkedin, tous les jours, je vois passer des choses avec des conseillers qui recherchent des joueurs pour des clubs à l’étranger. C’est le travail à l’envers, d’abord tu dois chercher des joueurs, tu t’en occupes bien et tu construis un projet avec eux.

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