Interview Charles Bal, directeur des Stratégies chez Havas Play : « Le running est en train de devenir ce que le gaming a été il y a quelques années »

Charles Bal - Havas Play Charles Bal - Havas Play
Charles Bal - Havas Play

Alors que le Marathon pour Tous a marqué l’un des temps forts des JO Paris 2024, difficile de ne pas remarquer l’ascension fulgurante du running dans la société. En coulisses, des agences comme Havas Play accompagnent et structurent cette vague qui devient de plus en plus centrale.

Nommé début 2025 directeur des stratégies de l’agence, Charles Bal nous a expliqué les grands axes de son nouveau poste et partagé la vision stratégique d’Havas Play, et surtout, décrypté pourquoi le running est bien plus qu’une simple tendance. Comment une pratique longtemps considérée comme utilitaire est-elle devenue un terrain de jeu pour les marques, les communautés et même les artistes ? Comment Havas Play accompagne ses clients sur ce territoire devenu hautement culturel ?

Sport Buzz Business – Antoine :  Vous avez récemment été nommé directeur des stratégies chez Havas Play. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle et vos missions au sein de l’agence ?

Charles Bal : j’ai été nommé directeur des stratégies en janvier dernier, un poste nouvellement créé au sein de l’agence. L’idée, c’était d’aller au-delà du rôle classique de direction du planning stratégique, pour adopter une approche plus ambitieuse et intégrée.

Concrètement, nous avons rassemblé au sein d’une même équipe des profils qui, jusqu’ici, se croisaient de temps en temps, mais ne travaillaient pas ensemble dans la durée : les planneurs stratégiques et les data analysts. En réunissant ces expertises, nous pouvons enrichir notre lecture des tendances culturelles, affiner nos recommandations, et proposer des stratégies plus robustes et plus agiles à nos clients

Trois grands piliers drivent désormais nos équipes :

  • Le premier, c’est la redéfinition de notre propre narratif. Quand l’agence a été lancée, nous avions en ligne de mire des événements comme la Coupe du Monde de rugby ou les Jeux Olympiques. Aujourd’hui, ce cycle touche à sa fin, et nous devons nous réinventer : quel récit voulons-nous porter désormais en tant qu’Havas Play ?
  • Le deuxième pilier, c’est l’accompagnement de nos clients sur leurs stratégies de sponsoring. Il s’agit de les aider à choisir les bons territoires d’expression, à construire un storytelling fort autour de leurs engagements, et à identifier les meilleurs assets pour donner vie à leur stratégie.
  • Enfin, notre troisième pilier, c’est le planning stratégique. Il s’agit de mettre les équipes créatives sur orbite, en leur fournissant les insights et les orientations nécessaires pour imaginer des activations percutantes — que ce soit autour d’un partenariat sportif ou dans des univers plus larges.

Ces trois piliers s’articulent autour d’un cadre stratégique propriétaire que nous avons développé : Five to Play. C’est à la fois une étude approfondie et une méthode de réflexion, qui nous permet de cartographier les passions contemporaines des Français.

Nous avons identifié plus de 100 communautés actives : des groupes qui se structurent autour de centres d’intérêt, de loisirs, de cultures, mais aussi de sujets de société comme l’égalité femmes-hommes, la santé mentale ou encore la responsabilité environnementale.

Cette approche nous permet de comprendre ce que les gens attendent réellement des marques, ce qui les réunit, et comment ces communautés se forment. Parmi toutes celles que nous avons analysées, une se distingue particulièrement par sa vitalité et sa dimension culturelle : le running.

 

 SBB : Ça veut dire qu’Havas Play a pour vocation de s’étendre au-delà du sport ?

CB : Absolument, notre champ d’action dépasse largement le cadre du sport.

D’ailleurs, même au pic de l’année 2024, au moment des Jeux Olympiques, une part très significative de notre activité se développait déjà hors des terrains sportifs.

Ce qui relie toutes nos expertises, c’est notre approche communautaire couplée aux logiques de partenariat. Que ce soit à travers des partenariats sportifs, des collaborations avec des marques médias, ou des activations avec des influenceurs et créateurs de contenu, nous travaillons toujours à connecter les marques avec des communautés engagées, grâce à un “tiers de confiance”.

 

Pierre Guislain x Next Step Prod
Pierre Guislain x Next Step Prod

 

SBB : Le running s’impose de plus en plus comme un territoire d’expression pour les marques. En tant qu’agence, comment abordez-vous ce phénomène, et pourquoi était-ce important de prendre la parole à ce sujet aujourd’hui ?

CB : Le running n’est plus simplement une discipline sportive : c’est devenu un véritable phénomène de société, un nouveau langage culturel. C’est ce que nous avons voulu exprimer à l’occasion du dernier Marathon de Paris, qui marquait pour nous la fin d’un premier trimestre extrêmement actif autour de cette thématique — à la fois pour nos clients et pour nous, en tant qu’agence.

Au fil des années, sans l’avoir forcément prémédité, nous sommes devenus très ancrés sur le sujet. Nous accompagnons de grandes marques dans cet univers depuis longtemps, en conseil stratégique, en production de contenus, en activations terrain et digitales.

Il nous a donc semblé naturel de prendre la parole à ce moment précis sur nos réseaux sociaux, pour partager notre vision du running, en tant qu’expert du secteur mais aussi en tant qu’observateur de ses mutations culturelles.

 

Après le Covid, on est passé de 7 à plus de 13 millions de pratiquants en France. Aujourd’hui, on est toujours autour de 12,4 millions (source : 7e Observatoire du running, Union Sport & Cycle).

 

SBB : Le running connaît aujourd’hui un engouement massif. Peux-tu retracer brièvement les grandes étapes de son évolution et expliquer pourquoi cette pratique s’est autant démocratisée ces dernières années ?

CB : Le running a longtemps été perçu comme un simple outil d’entraînement pour d’autres disciplines. Ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’il devient une pratique autonome, popularisée sous le nom de “jogging”, notamment aux États-Unis.

Ce qui est fascinant, c’est qu’à chaque grande crise – choc pétrolier, crise des subprimes, pandémie – la pratique du running explose, comme une réponse accessible, individuelle et résiliente. Et surtout, ces pics ne redescendent jamais complètement. Après le Covid, on est passé de 7 à plus de 13 millions de pratiquants en France. Aujourd’hui, on est toujours autour de 12,4 millions (source : 7e Observatoire du running, Union Sport & Cycle).

C’est devenu bien plus qu’un sport : un mode de vie, une culture, une manière de reprendre le contrôle dans un monde incertain.

 

Résultat : on attire des publics moins centrés sur la performance à tout prix, mais davantage sur l’expérience, l’accomplissement personnel, ou l’idée de se dire : “je l’ai fait” — courir un marathon une fois dans sa vie, ce n’est pas rien !

 

SBB : Entre les réseaux sociaux, Strava, les records à battre et la course à la performance, on peut se demander si le running ne devient pas une pratique trop poussée, presque sous pression. Est-ce qu’on court encore pour les bonnes raisons ? Et n’y a-t-il pas un risque d’essoufflement ?

CB :  Vous touchez un point important. Je ferais une distinction entre deux pratiques : le running du quotidien, celui de la personne qui court régulièrement pour son bien-être, et la participation à des courses organisées.

Sur les événements — marathons, trails — on voit en effet une inflation des ambitions. Beaucoup s’inscrivent pour “cocher une case”, parfois sans réelle préparation. C’est ce qu’on a constaté récemment : un record d’abandons au Marathon de Paris, parce que certains n’avaient pas mesuré l’engagement nécessaire pour boucler les 42,195 km.

Est-ce une bulle ? Je parlerais plutôt d’un mouvement de balancier. On est peut-être allés trop loin sur la quête de performance, et on reviendra vers une pratique plus équilibrée. Mais sur le fond, la course à pied du quotidien, elle, est bien installée. Je ne crois pas qu’on régressera là-dessus.

 

Baptiste Daniel x Next Step Prod
Baptiste Daniel x Next Step Prod

 

Le running est en train de devenir ce que le gaming a été il y a quelques années : un territoire culturel grand public, qui dépasse largement ses cercles endémiques

 

SBB : Qui compose ce nouveau public du running, notamment depuis le Covid ? On a vu par exemple plus de femmes que d’hommes sur le Marathon de Paris cette année. Comment expliques-tu cette évolution ?

CB : Le profil du runner évolue nettement. Longtemps perçue comme un sport de “quadras”, la course à pied se rajeunit. On observe une vraie dynamique de féminisation et un afflux de pratiquants plus jeunes, notamment sur les grandes courses.

Ce basculement s’explique en partie par l’émergence de nouveaux rôles modèles : des figures jeunes, féminines, positives, qui parlent de running autrement. Ce n’est plus une activité perçue comme austère ou répétitive, mais comme un univers “cool”, accessible, valorisant. Les marques y contribuent aussi en construisant un imaginaire beaucoup plus lifestyle.

Résultat : on attire des publics moins centrés sur la performance à tout prix, mais davantage sur l’expérience, l’accomplissement personnel, ou l’idée de se dire : “je l’ai fait” — courir un marathon une fois dans sa vie, ce n’est pas rien !

 

SBB : On voit de plus en plus de marques – même hors univers sportif – s’emparer du running. Comment expliques-tu cet engouement, et quelles sont aujourd’hui les grandes stratégies pour capter ce public ?

CB : Le running est en train de devenir ce que le gaming a été il y a quelques années : un territoire culturel grand public, qui dépasse largement ses cercles endémiques. À une époque, seules les marques de sport s’y intéressaient. Aujourd’hui, on y voit des banques, des plateformes de streaming, des enseignes alimentaires…

Pourquoi ? Parce que le running touche à des leviers universels : le bien-être, la santé, le dépassement de soi, mais aussi l’appartenance à une communauté. Chaque marque y va donc avec son prisme : certaines valorisent la performance, d’autres la dimension inclusive ou lifestyle.

Ce ne sont plus que les marques endémiques qui te parlent de running. Ce sont les marques qui ont compris que le running est devenu un territoire culturel. Il a pris une dimension culturelle au sens où il fait partie de la vie des gens, comme le gaming fait partie de la vie des gens.

Ce n’est pas parce que tu cours que tu es obligatoirement un hardcore runner. Ce n’est pas parce que tu fais un marathon que tu es obligatoirement un athlète qui ne vit que pour la course à pied. Derrière un coureur ou une coureuse, un marathonien ou un semi-marathonien, tu as quelqu’un qui a plein de passion par ailleurs, qui peut avoir de l’intérêt pour ta marque si tu arrives à lui parler de quelque chose qui l’intéresse.

Si tu arrives à apporter de la valeur à sa pratique du running, même si tu es une marque qui n’a rien à voir avec le running, tu peux vraiment gagner des points.

Ce qui compte, c’est de s’ancrer dans les codes de cette culture, de ne pas être intrusif, et de créer une vraie valeur ajoutée pour les runners – que ce soit via du contenu, des services ou des expériences. 

 

On continue donc à animer le Team Orange Running à travers de nouveaux contenus, des activations sur les courses partenaires et l’arrivée de nouveaux ambassadeurs


SBB : Et donc il n’y a pas qu’une seule stratégie. Cela passe par la valeur que l’on apporte, du sponsoring, des activations, mais aussi des politiques en interne pour les collaborateurs.

CB : Oui, il n’y a pas une seule stratégie, mais une multitude de façons d’apporter de la valeur. Certaines marques enrichissent l’expérience de course elle-même, en proposant des services ou des contenus utiles — comme Hyundai, qui diffuse la power song personnelle des coureurs 1km avant l’arrivée du semi de Paris. D’autres misent sur l’émotion, comme Orange, qui facilite les retrouvailles avec ses zones “friends & family” sur les courses partenaires.

Et puis il y a le volet interne : le running est un formidable levier d’engagement “collaborateurs”. Offrir des dossards, organiser des entraînements, créer des moments partagés entre salariés ou avec des clients… c’est simple, concret, et porteur de fierté collective.

Gwendal Hamont x Next Step Prod
Gwendal Hamont x Next Step Prod

 

SBB : Tu évoquais à l’instant la Team Orange Running. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce dispositif et comment il s’inscrit dans la stratégie d’activation d’Orange autour des Jeux Olympiques ?

CB : Le Team Orange Running, c’est un programme qui a été  imaginé autour du “Marathon pour tous”, la signature property choisie par Orange dans le cadre de son partenariat premium avec Paris 2024. L’enjeu, c’était de faire vivre ce dispositif pendant près de quatre ans, jusqu’au jour J.

On a donc construit avec Orange et ses agences une stratégie d’engagement multicanale : contenus, influence, événementiel, relations presse… avec des moments forts tout au long de l’année, sur les courses partenaires d’Orange. Le programme s’articule autour de trois piliers : inspirer, accompagner, et récompenser.

 

SBB : Maintenant que le marathon des JO est derrière nous, est-ce que le Team Orange Running continue d’exister ? Et si oui, sous quelle forme ?

CB: Absolument, le programme se poursuit. Même sans l’échéance olympique, le calendrier running reste très dense — entre le 10K des Champs, les semi-marathons, le marathon de Paris, ou encore Marseille-Cassis à l’automne.

On continue donc à animer le Team Orange Running à travers de nouveaux contenus, des activations sur les courses partenaires et l’arrivée de nouveaux ambassadeurs. On pilote tout ça de manière agile, avec des workshops trimestriels pour ajuster en permanence notre stratégie.

 

SBB : Pour l’anecdote, sur mon footing hier midi, j’ai vu quelqu’un courir avec le maillot Team Orange Running sur Grenoble.

CB : Vous ne pouvez pas me faire plus plaisir, cela fait 4 ans que nous travaillons sur ce projet et ça illustre parfaitement ce que je disais au début — toute la force du marketing communautaire. Quand une marque apporte de la valeur à une passion authentique, elle ne fait pas que communiquer : elle s’intègre durablement dans la vie des gens

 

SBB : Quels sont les prochains défis pour Havas Play dans les mois à venir ?

CB : L’un de nos grands défis, c’est de mieux appréhender les sous-cultures qui gravitent aujourd’hui autour du running. Cette pratique est en train de se croiser avec d’autres univers culturels — notamment le rap et le hip-hop. On le voit dans les clips, les lyrics, ou encore dans des performances artistiques comme celle de Rilès récemment. Comprendre ces nouveaux codes, c’est essentiel pour continuer à parler juste et à créer des campagnes qui résonnent culturellement.

 

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