Quentin Xavier (Urban Circus) : « Les PME sont en train de suffoquer »

Henri de Kergolay (à gauche) et Quentin Xavier (à droite), les cofondateurs d'Urban Circus. Dans un entretien pour Sport Buzz Business, Quentin Xavier déplore les lourdeurs administratives du système français qui ralentissent les entrepreneurs.

Dix ans après le lancement d’Urban Circus, spécialiste de la mobilité urbaine, notamment avec des vêtements techniques pensés pour sécuriser les cyclistes, l’un de ses fondateurs, Quentin Xavier, tire la sonnette d’alarme. L’entrepreneur est remonté contre les lourdeurs administratives françaises. L’une des innovations mondiales de la marque, développée avec Continental, doit être retirée du marché en 2026. Des années de travail, des investissements et des emplois sacrifiés, la faute à un excès de normes qui freinent l’innovation.

Sport Buzz Business : Votre entreprise existe depuis dix ans. Au tout début, en 2015, vous auriez imaginé que cela dure si longtemps ?

Quentin Xavier : Les choses prennent du temps, surtout dans le domaine dans lequel on s’est lancé, qui est la mode, où on doit vraiment construire la confiance du client pour commencer à vendre. Dans le textile, c’est quand même quelque chose d’assez important, d’assez clé. Et non, je ne pensais pas qu’on mettrait autant de temps. On est quasiment morts trois fois et puis ressuscités autant de fois. Et puis aujourd’hui, on est encore dans une phase où on se réinvente. En dix ans, j’ai surtout l’impression d’avoir monté quatre entreprises.

Qu’est-ce que vous avez poussé à lancer ces vêtements pour les cyclistes ? Il y a dix ans, c’était déjà un peu le début de l’essor des déplacements en vélo ? 

Le premier sujet date de 2008.  Une loi rendait obligatoire le port du gilet jaune en deux-roues, quel que soit le type de deux roues. C’est une loi qui a été supprimée par la suite et ça a mis un petit coup d’arrêt au projet. En 2014, quand je rentrais des Etats-Unis avec mon associé, on s’est dit que oui, en effet, l’essor de la mobilité faisait qu’au final c’était peut-être le bon moment pour lancer quelque chose. 

Aujourd’hui, aucune loi n’oblige les cyclistes à porter un gilet ?

Non, toujours pas. Notre mission a été de rendre cet accessoire agréable à porter et de convaincre les gens que ça avait une utilité plutôt que d’essayer d’obliger. Comme il n’y a pas d’obligation, au final, on vend forcément moins mais je trouve que ça rend notre combat beaucoup plus vertueux. C’est un combat d’éducation des gens à la sécurité, c’est un combat qui dit que justement, on peut faire des trucs élégants pour donner aux gens l’envie de s’équiper et pas les contraindre par une loi. Le combat beaucoup plus beau comme ça, quelque part.

Qui sont vos clients ?

Au tout début de l’histoire d’Urban Circus, ce qui a fait décoller le business, c’est qu’on a équipé des flottes de cyclistes comme Uber Eats, Deliveroo, Foodora. On a beaucoup bossé avec ces gars-là, quand c’était vraiment l’époque de la livraison. Et après, on a aussi beaucoup travaillé avec les « Dark Store » et même encore aujourd’hui, on travaille beaucoup avec le secteur de la livraison, avec des clients comme Trusk, Coursier.fr, avec Domino’s Pizza.

Depuis un peu moins de deux ans, on a décidé de se lancer à fond dans l’équipement professionnel, à proprement parler, dans l’équipement de protection individuelle pour les grands groupes. Nous travaillons avec Vinci, La Poste, Colissimo, EDF, Suez, Veolia. On a fait des vêtements pour protéger du froid extrême les gens qui travaillent à moins 26 degrés. Nous avons, par exemple, développé une veste avec Vinci qui utilise des intelligences artificielles. Cela permet de déclencher un airbag sur les gens qui interviennent sur l’autoroute, au cas où il y a une voiture qui rentre dans le périmètre de façon inattendue.

La première veste pour cyclistes détectable par les systèmes d’aide à la conduite des voitures.
Conçue par Urban Circus en partenariat avec Continental.

Revenons sur les particuliers, à quoi ressemble le paysage des acteurs ? Il y a beaucoup de concurrents ?

Je trouve que personne ne fait vraiment le pari d’en faire quelque chose de véritablement esthétique. Des enseignes comme Decathlon font du gilet jaune ou du gilet jaune légèrement amélioré mais au final, c’est tout. 

Vous êtes un chef d’entreprise en colère. Il y a deux ans, avec Continental, vous avez développé une veste pour les cyclistes détectable par les systèmes d’aide à la conduite des voitures. Aujourd’hui, on vous demande de la retirer du marché…

En France, tu peux toucher plein de subventions pour innover. Parfois, dans les grands groupes, c’est utilisé pour verser des dividendes aux actionnaires. C’est de l’argent qui, quand même, part de la poche du contribuable. Par contre, dans les petites entreprises, on pousse à l’innovation et le jour où tu mets une innovation sur le marché, où tu te dis que c’est quelque chose qui va améliorer grandement la sécurité des gens, c’est le cas de la veste détectable, on t’interdit la commercialisation car ça ne rentre pas dans une norme. Cette veste était pour tout le monde : les cyclistes, les marcheurs.

La veste ne répond pas à la norme de haute visibilité qui est ISO 20471 ou EN 17353 mais elle remplit les critères qui sont au maximum de visibilité et détectabilité selon les recherches qu’ on a fait sur les intelligences artificielles. On est puni en nous disant que nous n’avons pas le droit de mettre ça sur le marché. On se retrouve face à une espèce d’aberration qui part d’une innovation qui a été subventionnée, c’est-à-dire qui est subventionnée par l’État français et punie par ce même État parce qu’ils n’arrivent pas à créer un cadre normatif  pour pouvoir développer des innovations. Théoriquement, on est censé retirer la veste de la vente en juin. 

Pourquoi ce rappel à l’ordre plusieurs années après le lancement ?

C’est juste qu’on n’avait pas été contrôlés par la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes). À aucun moment, on n’imaginait qu’on était hors la loi. Nous sortons une innovation qui était censée révolutionner la sécurité des gens. À la fin, pardonnez moi, mais les instances t’envoient chier parce que tu ne rentres pas dans une norme.  La DGCCRF a des thématiques selon les années et il y a un an et demi, c’était les équipements de protection pour les cyclistes. 

Et vous estimez que ces contrôles ne concernent que les entreprises françaises ?

Toutes les entreprises qui passent par des marketplaces type Shein ou Temu, ils ouvrent des boîtes, ils vendent, ils ne certifient rien. Et puis derrière, après un contrôle de la DGCCRF, ils retirent le produit de la plateforme. Ils ont eu le temps d’en vendre 10 000 entre temps. Il n’y a que les boîtes françaises sur qui tu peux vraiment taper, c’est ça qui est terrible. Les professionnels de la DGCCRF font leur travail et heureusement qu’ils sont là. Mais ils appliquent des règles qui, parfois, freinent l’innovation.

On vous sent touché car vous mettez votre vie et votre santé dans l’entreprise. Que faudrait-il faire ?

S’il y avait une loi qui disait que tout le monde doit porter un gilet jaune, cela serait important de se faire qualifier comme gilet jaune. En l’occurrence, il n’y a aucune loi qui impose le port d’un gilet jaune quelconque. Pour répondre à une norme, cela coûte 3 000 euros, par référence et par couleur. L’impact sur le prix du produit, pour le consommateur, est énorme. Quand on impose à des entreprises comme la nôtre de respecter ces normes, à des coûts qui sont complètement délirants, tu te retrouves face à des plateformes qui, elles, vendent leurs produits au coût que la norme représente pour toi.

Les grands groupes ne sont pas impactés. Ils peuvent faire face, prendre des avocats, faire durer les procédures. Si on leur dit que le rose de leur produit n’est pas assez fluo, ils prennent 5 avocats. Ils s’en sortiront toujours. Mais pour des petites boîtes comme nous, ça représente une barrière à l’entrée. Les PME sont en train de suffoquer. Elles suffoquent énormément sous les normes et sous le coût des normes.

Il faut changer un peu les choses, les alléger. Il faut faire en sorte que ça soit plus simple, que tu ne sois pas sanctionné dès que tu essaies de lancer une innovation sur le marché. Au contraire, qu’on vienne t’accompagner et t’expliquer comment tu peux faire pour la rendre légale. C‘est dégueulasse pour moi de voir des subventions publiques pour leurs actionnaires. Des gens comme nous tentent de faire de la vraie innovation et on nous tape dessus.

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